4 Mars 2024
Quelles sont les principales idées préconçues sur l’IA ?
La première est qu’elle est intelligente. C’est une idée fausse. Elle n’est pas intelligente au sens propre du terme. Pour tout ce qui est binaire, calcul, logique, un outil certes rapide est efficace. Pour le reste, c’est du pur traitement de données, un domaine qui s’améliore presque au quotidien.
Comment ce discours sur l’intelligence a-t-il pu voir le jour et combien d’entrepreneurs technologiques dans le monde sont en train de fantasmer sur un tel discours ? C’est un centre de données massif rempli de pétaoctets de données avec d’excellents algorithmes qui traitent ces données et procurent ainsi l’impression d’être intelligent.
Selon moi, il faudrait regarder au-delà des apparences pour comprendre la technologie sous-jacente.
Le marché et les applications du contenu génératif : quelques réflexions
OpenAI (avec ChatGPT) est en train de changer la phase d’Internet, et cela se produit sous nos yeux. L’explosion des plugins servant de connecteurs à n’importe quelle application n’est pas une surprise. On a déjà vu des exemples comme l’intégration dans MS Office. Mais ce n’est rien comparé à ce qui arrive. Ces outils (plugins) seront partout : moteurs de recherche, technologies Open-source comme WordPress par exemple et toutes les applications propriétaires comme Adobe CC, etc.
Ces générateurs de contenu évoluent très vite et permettront de créer des contenus de plus en plus “réels” et “créatifs” : images, dessins, photos, présentations, musique, vidéos, audio, etc. De plus, plusieurs outils en ligne sont déjà très bien conçus et aident les utilisateurs à générer du contenu via des guides et des options intégrées. Ils offrent des interfaces intuitives et user-friendly, avec leurs versions “gratuites” (pas vraiment, car plus nous les utilisons, plus ces outils s’améliorent avec nos données, corrections, prompts, etc.) et leurs versions “premium” pour avoir plus d’options et de marge de manœuvre.
Phases de développement et acteurs concernés
La première phase a déjà commencé, celle qui touche aux plugins, mais surtout des services en ligne (SaaS) se développent très vite. Les grosses entreprises, comme toute nouveauté, vont suivre la tendance pour arriver sur le marché le plus vite possible. Le but est de s’emparer de la part du gâteau le plus vite possible, du simple utilisateur aux gestionnaires de contenus de toute sorte, jusqu’aux grandes entreprises. Les métiers qui vont suivre cette tendance vont toucher au départ toutes sortes de “créateurs“, et tous les domaines d’activité informatique et non.
Arguments et stratégies des développeurs d’IA
Pour ces startups de développeurs IA, l’argument (slogan) qu’on trouve à chaque fois sur leurs plateformes est : “Pourquoi engager des graphistes, des créateurs, des rédacteurs quand l’IA peut générer du contenu à moindre prix, mieux et en très peu de temps ?”. Certes, seuls les plus créatifs pourront survivre dans ces métiers et il faut passer des heures à choisir, découvrir, tester parmi des centaines d’offres et nouveautés qui augmentent chaque semaine,, chaque jour. Les Apps des leaders du marché ont des mises à jour quasi quotidiennes.
C’est la phase de création massive. Mais surtout, ce qui va changer radicalement, c’est notre interaction avec Internet.
L’appétit des grandes entreprises et les dérives du marché
Les grandes et moyennes entreprises vont vouloir aller très très vite (toujours plus vite). Elles sont prêtes à payer le prix de la rapidité et de la puissance de cette technologie. En plus d’amortir l’investissement initial, après seulement un an, les ventes ont déjà atteint plusieurs milliards, car les GAFAM ne vendent pas uniquement des abonnements mensuels aux utilisateurs, mais aussi les milliers de services qui y sont liés.
Ensuite, on voit émerger des publicités de toute sorte sur les réseaux sociaux qui offrent des cours IA, des cours sur comment gagner de l’argent facile avec une “simple connexion internet et un smartphone” : des billets de banque qui tombent du ciel. Des SCAM sous forme d’articles de presse qui usurpent les noms d’E. Musk (Quantum AI) et toute sorte d’article de presse qui usurpent les grand titres des journaux, des influenceurs(euses) qui créent des contenus via des templates prédéfinis pour les réseaux sociaux (Instagram, TikTok, Youtube, etc.). Un vrai effet boule de neige dans la tendance des nouveaux formats appelés “shorts” (vidéos courtes de 1 à 3 minutes très à la mode, dans la presse écrite aussi) qu’on “scrolle” à longueur de journée où 90% du contenu est constitué de déchets (“trash” ou “fake“) et qui abrutissent des utilisateurs incapables de discernement en les rendant inévitablement dépendants (hypnotisés).
Bref, du tout et du n’importe quoi, on est juste au début. Au fond, des révolutions de la sorte ont toujours existé, de la révolution industrielle à la création de machines, la robotisation des tâches routinières, etc. Mais la différence du tout numérique lié à l’IA a une autre approche et une grosse différence : le tout va très vite. Non seulement l’IA repose sur des serveurs très puissants (le calcul est fait avant de renvoyer le résultat, il n’y a pas de requête in/out), mais on prévoit déjà des ordinateurs quantiques (théoriquement possible mais très complexe à réaliser). Derrière tous ces milliards investis par les GAFAM, il y a d’autres investissements qui touchent à des domaines plus délicats, plus complexes et souvent controversés :
- IA dans la course à l’armement
- IA dans les moyens de transport
- IA dans nos cerveaux ? Neuralink, implanter des puces dans le cerveau pour améliorer le quotidien des individus.
“On arrivera en premier à conquérir l’espace, plutôt que de trouver des remèdes contre des maladies rares“. La Loi du Marché reste la même, le profit et les intérêts avant tout, par n’importe quel moyen, Les sujets pour sauver notre planète (nous) : écologie, énergie, guerres, sécheresse, faim dans le monde, inégalités sociales, réchauffement climatique, pollution, surpopulation, etc., en dernier plan. On en parle en boucle, mais que fait-on sur le terrain ? L’émergence de nouveaux termes de vente très à la mode tels que “Green“, “Éco-responsable” ou “Bio“… des termes devenus à la mode pour les mêmes objectifs marketing appelés “Brain Washing“.
La réflexion de Jean-Christophe Rufin sur la littérature et le numérique
Jean-Christophe Rufin (médecin, écrivain et diplomate français) :
Très tôt, j’ai été en contact avec le drame, la douleur et la mort (…) J’ai eu besoin de partager (…) J’ai choisi plutôt d’inventer des histoires. Pourtant rien de ce que j’ai écrit n’est étranger à mon expérience, mes écrits sont faits de chair et de portraits, d’émotion et de paysages dont tous ont été apportés par la vie. Il ne faut pas qu’il en soit autrement.
Quand je vois les magiciens du numérique s’attaquer à la littérature, je ne ressens pas seulement un malaise, mais une révolte profonde car le fait de réécrire des romans par chat-bot ou d’autres outils et qui trouvent des éditeurs suffisamment stupides pour les publier (…) Les nouvelles technologies, cette entreprise de plagiat, finira par être suffisamment performante pour devenir crédible, et ce qui nous sera retiré alors sera notre dernière liberté, celle de créer des histoires par la seule magie, avec un stylo et une conscience libre, celle de témoigner du monde et peut-être de le transformer (…) la littérature doit rester humaine.
Mon approche et mes réflexions personnelles
Face à cette déferlante technologique, je reste prudent et attentif. L’IA n’est pas “intelligente” à proprement parler. Elle fonctionne grâce à des algorithmes complexes qui analysent des masses de données considérables. Nous sommes, et resterons, les produits des GAFAM.
Les réponses de ChatGPT, bien que pertinentes dans certains domaines, ne sauraient remplacer la complexité de la pensée humaine, avec son abstraction, son imagination et sa créativité irrationnelle.
Par contre créativité générative assistée par ordinateur ouvre des perspectives fascinantes, mais qui est le véritable créateur : l’utilisateur ou la machine ?
Nous alimentons, souvent sans en avoir conscience, cette masse de données qui permet à l’IA de se développer. Nous vivons dans un monde de plus en plus standardisé et uniformisé. Il est essentiel de maîtriser ces outils, sans pour autant les laisser dicter notre façon de penser et de nous exprimer.
Information, pouvoir et régulation
“Qui détient l’information détient le pouvoir“. Mais l’information n’est pas le savoir. Il est crucial de développer notre esprit critique pour distinguer les informations pertinentes des fake news et des contenus. Si nous laissons les réseaux sociaux devenir notre unique source d’information, nous risquons de nous transformer en perroquets.
Il devient urgent de réglementer l’IA. Les clauses RGPD/LPD sont un premier pas, mais les GAFAM, trop puissants, dictent leur propre Loi et règles. La souveraineté numérique de l’Europe est un enjeu majeur, mais l’ingérence digitale américaine et chinoise ne nous laisseront pas de choix. La question de la régulation de l’IA en Europe est un véritable casse-tête. Si l’idée d’une loi sur l’IA (AI Act) est séduisante sur le papier, sa mise en œuvre risque de se heurter à des obstacles majeurs. Il est vrai que certaines technologies ont déjà été encadrées par le passé. Cependant, le numérique évolue à une vitesse fulgurante, rendant obsolètes les cadres juridiques existants. Même en cas de réglementation stricte, il est illusoire de penser que l’on pourra contrôler l’ensemble des flux de données et des contenus circulant sur Internet. L’exemple de TikTok, application d’origine chinoise, dont l’ingérence potentielle est un sujet de préoccupation, en est une illustration frappante.
L’omniprésence des données et la standardisation de notre monde
Nous alimentons, une gigantesque base de données en libre accès, qui ne cesse de croître avec l’essor de l’IA (“data mining”). Cette omniprésence des données contribue à uniformiser nos modes de vie et nos façons de penser, bien au-delà de l’influence de la télévision et des réseaux sociaux.
La logique implacable du marché et ses conséquences
La course au profit à court terme, incarnée par le modèle économique d’Amazon (“vendre au prix le moins cher en livrant le plus rapidement possible”), conduit à une surconsommation et à une négligence des conséquences environnementales et sociales (FastFashion, FastFurniture, “Ubérisation” des services, etc.). L’IA, avec sa consommation énergétique massive, risque d’aggraver ce problème.
Une approche “anthrotechnologique” des médias sociaux (Asma Mhalla)
Asma Mhalla, dans son livre “Technopolitique“, met en lumière les dangers de la perte de lien social et de la fragmentation de la société induits par les nouvelles technologies :
Les nouvelles technologies génèrent la perte de lien et la perte du commun. Dans un système social, c’est le contraire du vivre ensemble. La façon dont les réseaux sociaux sont articulés et gouvernés, tout comme l’IA, ces outils atomisent, c’est-à-dire qu’au bout d’un moment à force de “bien vous connaître” et de vous pousser des contenus qui sont pile sur mesure sur vos “émotions”, vos “colères”,
Sources: Asma Mhalla:
- RTS: Les géants de la tech ont une aversion idéologique assez viscérale pour la démocratie
- Est-on prêt pour l’Intelligence artificielle ?
- Asma Mhalla : podcasts et actualités.
- CyberPouvoirs France Inter Apple Podcasts
Des décisions autonomes aux conséquences incertaines
Contrairement aux réseaux sociaux, dont l’influence est certes considérable, l’IA prend des décisions de manière autonome. Cela soulève des questions éthiques et pratiques fondamentales :
- Quelles données sont utilisées pour alimenter ces décisions ? Comment s’assurer de leur fiabilité et de leur impartialité ?
- Qui est responsable en cas de problème ? Comment établir une chaîne de responsabilité claire et transparente ?
- Comment garantir le respect des droits d’auteur et la protection des données personnelles ? L’IA “digère” des masses de données, souvent protégées par le droit d’auteur, et peut aussi exploiter des informations sensibles.
Prévention, conscience numérique et esprit critique
Face à ces défis, il est essentiel de garder un esprit critique et analytique. La prévention, l’éducation et la sensibilisation sont les meilleures armes pour se protéger contre les arnaques, la désinformation et les manipulations.